La révolution syrienne: Une révolution otage des enjeux régionaux

Voici un article* de 2013 -mais toujours d’actualité- que je vous résume en une introduction et 8 points:
 » S’il est une constante dans l’histoire des pays du Levant, c’est la collision de l’aspiration des peuples à la liberté et à l’émancipation avec la realpolitik, qui conduit à leur sacrifice sur l’autel des intérêts géostratégiques de puissances étrangères. »
 
1. La Syrie: 1er coup d’Etat militaire dans le monde arabe préparé par les Américains
 
 » Sous mandat français, la Syrie fut d’abord morcelée en quatre Etats, avant d’accéder à l’indépendance après la seconde guerre mondiale. Son régime parlementaire ne dura pas : il fut mis à bas en 1949 par le colonel Housni Al-Zaïm. Le premier coup d’Etat militaire dans le monde arabe, préparé par l’ambassade américaine et par la Central Intelligence Agency (CIA) « 
 
2. Le régime de Bachar: Un anti-impérialisme de façade
 
 » C’est pourquoi, confronté à une vaste révolte populaire, à l’origine spontanée et pacifique, dans la droite ligne des soulèvements tunisien et égyptien, le régime de M. Bachar Al-Assad n’a cessé, pour tenter de légitimer une répression d’une indicible brutalité, de faire appel à la fibre anti-impérialiste. Cette stratégie lui a permis de conserver le soutien de certaines mouvances nationalistes autoritaires et d’une partie minoritaire de la gauche arabe.
 
En dépit de cette posture de résistance aux grandes puissances, on observe pourtant que, durant quatre décennies, le plateau du Golan a été une oasis de stabilité, et la frontière israélo-syrienne remarquablement calme. En 1976, c’est avec le feu vert américain et l’accord tacite des Israéliens que la Syrie est intervenue au Liban pour empêcher une victoire de la coalition dite « islamo-progressiste ». Durant la « guerre globale contre le terrorisme » des années 2000, elle a participé au programme de sous-traitance de la torture (extraordinary renditions) de l’administration du président George W. Bush. « 
 
3. Un soulèvement d’abord motivé par des considérations internes
 
 » L’erreur d’appréciation majeure de M. Al-Assad, flagrante dans son entretien accordé au Wall Street Journal le 31 janvier 2011, a été de penser que sa politique étrangère, son soutien au Hezbollah libanais (notamment durant la guerre de l’été 2006) et son appui au Hamas lors de l’invasion israélienne de Gaza (décembre 2008 – janvier 2009) le prémuniraient contre la vague révolutionnaire qui touchait le monde arabe. Quand bien même son supposé anti-impérialisme eût été perçu comme réel et sincère par son opinion publique, cela n’aurait nullement tempéré un soulèvement d’abord motivé par des considérations internes. La situation socio-économique était déplorable : sur trois cent mille Syriens arrivant chaque année sur le marché du travail, seuls huit mille décrochaient un contrat de travail en bonne et due forme. Des réformes néolibérales imposées brutalement avaient transformé les monopoles publics en monopoles privés et engendré un capitalisme de copains et de coquins. Un état d’urgence en vigueur depuis 1963 étouffait toutes les libertés. La torture, institutionnalisée, était érigée en mode de gouvernement et de domestication des masses. »
 
4. Révolte populaire VS conflit géopolitique régional et international
 
 » Pour autant, cette révolution a rapidement été phagocytée par le jeu des puissances, le territoire syrien devenant le lieu d’une série de guerres par procuration. Ainsi, les deux grands récits rivaux, celui d’une révolte populaire et celui d’un conflit géopolitique régional et international, ne sont pas mutuellement exclusifs : les deux dimensions coexistent, même si la première a prédominé entre mars et octobre 2011 et si la deuxième se manifeste de manière prépondérante depuis juillet 2012.
 
5. L’alliance avec la Russie: Économie & religion
 
 » La Russie de M. Vladimir Poutine s’est montrée la plus déterminée dans son soutien au régime de M. Al-Assad, allant jusqu’à utiliser à trois reprises son droit de veto au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU). Les causes de ce positionnement sont multiples. D’abord, des relations bilatérales solides, établies dès les années 1950 et ininterrompues depuis. La Syrie, contrairement à l’Egypte d’Anouar El-Sadate, n’a jamais coupé les ponts avec le bloc soviétique : plusieurs dizaines de milliers de binationaux, de couples mixtes ou d’expatriés, des relations économiques solides (les exportations russes étaient supérieures à 1,1 milliard de dollars en 2010, et les investissements s’élevaient cette année-là à près de 20 milliards de dollars). Ensuite, des ventes d’armes qui comptent avant tout parce qu’elles permettent aux Russes de tester la fiabilité de leur technologie — elles leur ont aussi rapporté 4 milliards de dollars en 2011, mais Damas est mauvais payeur, et Moscou doit souvent renégocier ou effacer la dette. Quant à la base militaire de Tartous, seule base russe en Méditerranée, il s’agit essentiellement d’une infrastructure de ravitaillement, dont l’importance a été quelque peu surestimée.
 
Comme la France du XIXe siècle, la Russie cherche de surcroît à se poser en protectrice des chrétiens d’Orient. Or la Syrie en compte près d’un million, soit 4,6 % de la population, dont 52 % de confession grecque-orthodoxe. La nouvelle alliance du trône et de l’autel qui semble se dessiner en Russie entre M. Poutine, le premier ministre Dmitri Medvedev et le patriarche Kirill Ier peut expliquer la prise en compte grandissante des intérêts de l’Eglise orthodoxe de Syrie, dont la hiérarchie est proche du régime.
 
Enfin, le Kremlin estime avoir été floué en 2011 sur le dossier libyen : pour faire en sorte que l’intervention militaire aille au-delà de la simple « responsabilité de protéger » et aboutisse à un changement de régime, les Occidentaux se sont livrés à une interprétation extensive, sinon abusive, de la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU.
 
Au-delà de tous ces facteurs, la fermeté de la Russie s’explique aussi par le fait que M. Poutine analyse les événements syriens à travers le prisme de la Tchétchénie. Il voit les soulèvements arabes comme des révolutions islamistes qu’il s’agit de stopper avant qu’elles n’atteignent le Caucase ou les autres régions musulmanes du pays (près de 15 % des Russes sont musulmans). « 
 
6. L’alliance avec l’Iran
 
 » Le soutien de l’Iran au régime de M. Al-Assad s’explique plus facilement : pour Téhéran, il s’agit de protéger son seul allié arabe et d’assurer la pérennité des canaux d’approvisionnement du Hezbollah. L’alliance irano-syrienne relève d’un pacte stratégique de longue durée, forgé en 1980, peu après la révolution islamique, à une époque où Hafez Al-Assad, le père de l’actuel président, isolé, pâtissait de ses mauvaises relations avec le frère ennemi baasiste irakien, Saddam Hussein, et avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat.
 
Cette alliance a survécu à d’intenses pressions, notamment durant la guerre Iran-Irak de 1980-1988, et toutes les tentatives d’éloigner les deux pays se sont soldées par des échecs. Aussi, dès le déclenchement de la révolution syrienne, en mars 2011, l’Iran a pesé de tout son poids pour soutenir M. Al-Assad. Il n’a pas hésité à lui ouvrir, en janvier 2013, une ligne de crédit de 1 milliard de dollars, malgré la situation économique difficile d’un pays asphyxié par les sanctions. Téhéran a également dépêché sur place des cadres appartenant aux gardiens de la révolution, tandis que des combattants du Hezbollah et des milices chiites irakiennes s’engageaient aux côtés du régime. « 
 
7. Bachar Al-Assad: L’ homme d’Israël à Damas 
 
 » Pour Israël, le régime syrien a longtemps représenté un moindre mal, le garant de la sécurité de sa frontière. Cette position a évolué après la guerre de juillet 2006, lorsqu’il est apparu que le soutien de Damas avait joué un rôle décisif dans la résistance du Hezbollah, et avec l’escalade de la rhétorique anti-iranienne à Tel-Aviv. Deux écoles de pensée coexistent dans les milieux américains favorables à Israël. Si l’ancien conseiller de la Maison Blanche Dennis Ross penche pour une intervention contre la Syrie, l’universitaire Daniel Pipes, l’un des propagandistes américains les plus inconditionnels d’Israël, préférerait que les Etats-Unis soutiennent le régime et favorisent la prolongation du conflit. L’ancien directeur du Mossad Efraim Halevy estime quant à lui que M. Al-Assad reste préférable à ceux qui veulent le renverser, et va jusqu’à qualifier le président syrien d’« homme d’Israël à Damas ».
 
8. La solution idéale selon les Russes et les Américains 
 
 » Les hésitations israéliennes ajoutent à la confusion qui règne à Washington, où le président Barack Obama, échaudé par l’expérience irakienne, résiste aux pressions des milieux interventionnistes, toujours influents.
La solution idéale pour les Etats-Unis serait de voir M. Al-Assad quitter le pouvoir tout en préservant l’ossature du régime.
« … »
Quant à la France, après avoir longtemps été en pointe et avoir annoncé la chute imminente du président syrien, elle semble en retrait après l’annonce du rapprochement américano-russe. Craignant sans doute de se retrouver isolée diplomatiquement, elle a commencé à vanter les mérites d’une solution politique, jusque-là dénigrée sinon rejetée par le Quai d’Orsay.
Ce panorama fait ressortir l’absence de toute planification des puissances régionales et internationales, contrairement aux théories du complot souvent répandues au sujet du Proche-Orient. Pour elles, il s’agit avant tout de préserver leurs intérêts. Seul celui du peuple syrien étant passé par pertes et profits. »

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